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Claire Lemercier est historienne et elle s'intéresse aux formes relationnelles entre le public et le privé.
Elle étudie les tribunaux de commerce qui sont une institution judiciaire unique en France héritée de l’Ancien Régime. Spécialisés dans le règlement des litiges entre entreprises, ils jugent mais se distinguent par la composition de leurs juges : ce ne sont pas des magistrats professionnels, mais des commerçants ou des cadres d’entreprise bénévoles, élus par leurs pairs. Ces tribunaux traitent un volume considérable d’affaires. Notamment au XIXᵉ siècle : à Paris, une seule chambre pouvait rendre jusqu’à 800 décisions par jour, grâce à une organisation minutieuse impliquant greffiers, abréviations spécifiques et un rythme de travail soutenu. Mais pourquoi des chefs d’entreprise acceptent-ils de consacrer bénévolement du temps à juger leurs pairs ? Selon Claire Lemercier, cette fonction gratuite joue en réalité un rôle stratégique dans leur carrière. Les tribunaux montrent comment l’État mobilise des élites économiques pour remplir une fonction publique, en échange de reconnaissance et de réseaux — un partenariat public-privé avant l’heure.

L’historienne compare la France et les États-Unis au XIXᵉ siècle pour montrer que, contrairement aux idées reçues, l’État américain n’était pas minimaliste : comme en France, il déléguait nombre de fonctions à des acteurs privés ou civils. Ses travaux récents (avec Barreyre, Gervais et Pelletier) montrent que le recours au privé dans les services publics n’est pas nouveau, mais qu’il s’est accentué depuis les années 1980 avec la montée du « nouveau management public ». Elle souligne que la « modernisation » et la dématérialisation fragilisent l’égalité d’accès et surchargent les agents publics, tout en externalisant des fonctions essentielles (conseil, nettoyage, informatique) vers le privé. Elle interroge enfin la notion même de « cœur de métier » de l’État. 


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